Le Zaar dévoilé
Les musiciens de Zaar ne sont que vingt-quatre dans toute l’Egypte. Il ne reste de cette véritable espèce en voie de disparition juste trois femmes chanteuses, trois joueurs de tambura et une vingtaine d’autres musiciens. Si tu poses la question à Mousama la chanteuse : « Mais ta fille, elle apprend ce que tu fais, ? Elle répond : – Non, ma fille, elle est diplômée. – Et ton fils Hassan ? – Non, mon fils est chauffeur de taxi. » Combien de fois on s’est disputé sur leur manière de se vêtir. Moi je les trouve d’une beauté incroyable avec leur taha longue, avec le mendil, là, sur la tête, avec ce look, avec les oreilles dont on voit un petit bout, les galabeyas, leurs manières de se poser devant toi. Mais je les vois arriver avec le foulard, le hijab, que moi j’appelle philippini, importé des Philippines, et avec une espèce de robe, qui n’est ni une robe ni une galabeya, mais un truc modernisé, élégant. Alors je lui pose la question : « Pourquoi arrives-tu avec ce hijab pour l’enlever dès que tu redeviens toi-même et le remettre à la sortie ? – Parce que nous, nous sommes développés. » Je m’attendais à l’entendre répondre que c’est Dieu qui l’a commandé. Ici, dans les journaux, on parle une de la montée de l’islamisme, des rues où l’on trouve de plus en plus de femmes voilées. En réalité, porter le voile, pour Mousama, ce n’est pas obéir à l’Islam, c’est démontrer son accession à un statut social différent. Une analphabète, une paysanne, une femme du Zaar, une gitane montrent ainsi qu’elles se modernisent en changeant de classe. Elles adoptent le voile couvrant toute la tête, cette tenue imposée, distribuée le plus largement et qu’a introduite l’Arabie saoudite, avec toutes les contraditions que cela implique. Pour les couches populaires, la religion est une question dont elles abandonnent aux intellectuels le soin de débattre.
Urbanisation et métissages
Lors des fêtes populaires, les mulids, on observe des mélanges entre musiques coptes et musulmanes. Des musulmans participent aux mulids des saints chrétiens et, inversément, des chrétiens aux mulids musulmans. Pareillement, dans certains passages de la musique soufie, on trouvera sur les mêmes mélodies des paroles qu’inspirent différentes croyances. Le Zaar a gardé cette composante préreligieuse, faisant peu de cas de l’orthodoxie. On s’y laissse posséder par des esprits chrétiens et des esprits musulmans. Un croyant chrétien cherchera un esprit musulman, et un musulman un esprit chrétien.
Au centre d’un rituel Zaar, on trouve le patient : les musiciens, le public d’amis, tous sont là pour lui, pour lui donner du plaisir, et se lâchent. Ce qui dérange les intellectuels. Mais le passage des traditions ancestrales à des pratiques actuelles s’effectue sans pour autant changer la fonction sociale de la musique. Le service de soulagement, de guérison, qu’offrait le Zaar, est aujourd’hui pris en charge par d’autres formes. Quelqu’un comme Ghibril, qui récite le Coran dans la plus ancienne mosquée du Caire, arrive ici avec sa culture saoudienne, marquée par l’enfer, le mal, la culpabilité, la punition et le chagrin. Il prie sur un mode si triste et cassé que le public finit par pleurer hystériquement. La nécessité du soulagement demeure.
L’idée du Makan, c’est de constituer une archive pour les générations à venir, mais c’est aussi un lieu où il y a place pour la fonction sociale de la musique. On te fera t’asseoir ici comme si tu étais chez quelqu’un, on t’offrira une hospitalité que tu ne peux pas simplement consommer sans participer.
Tu vois ce qu’on va te faire !
Qu’est ce qui se passe en Europe ? En Italie c’est le régime de la télé. Et en France ? Le pacifisme du guerrier. Israël ? Y en a marre de discuter, on n’en peut plus. Même s’il existe des associations juives en France qui condamnent la politique israélienne et des personnalités critiques comme Moustaki, même s’il est nécessaire de faire des distinctions, de ne pas condamner tous les citoyens israéliens, il ne faut pas oublier que peu d’entre eux choisissent la déobéissance civile. La question de la justice, de la justice internationale et de sa crédibilité, est en jeu. Or, personne n’a intérêt à l’appliquer, car le pouvoir a besoin de se créer un ennemi afin d’asseoir sa domination, et ainsi de diviser le monde en camps opposés. Or la culture est une, c’est la culture humaine. Et quant au conflit des cultures, je n’y crois pas, c’est une machination : depuis les croisades, l’ouest a construit l’islamisme. Ce « camp »-là, malheureusement, mord à l’hameçon. Quand le dominateur veut imposer sa présence, il commence par montrer sa force en tuant. C’est ce qui se passe avec les films de Ben Laden, avec les films de Guantanamo, avec les films d’Abu Graib. Qui a diffusé ces images ? L’impact sur ceux qui ont vu ces photos est traumatisant et effrayant. L’Amérique affirme par-là qu’elle est la plus forte : « Nous allons te faire ça, toi jeune Irakien, sors pas de chez toi, tu vois ce que qu’on va te faire ? »